Le haïku : une poésie de l’éphémère

Papillon qui bats des ailes
je suis comme toi –
poussière d’être !

Kobayashi Issa, 1763-1828.

Le haïku est un poème très court « Traditionnellement 17 syllabes découpées en trois «vers » (5-7-5) » d’origine japonaise dans lequel se côtoient l’éphémère et l’éternel. C’est l’émerveillement, le fugitif, l’instant et en creux, la vie, minuscule et grandiose.
Il ne faut pas longtemps pour s’apercevoir que tous les haïkus ont 17 syllabes comme tous les millepattes ont… un certain nombre de pattes. On lit, on entend cette histoire de syllabes et quand on lit les haikistes, on constate que c’est faux, tout simplement. J’en veux pour preuve le haïku ci-dessus.
La langue japonaise est morique, et non syllabique. Elle est fondée sur un système de sons élémentaires plus subtils que la syllabe. De fait, une de nos syllabes peut contenir plusieurs mores.
Prenons l’exemple très explicite que nous propose le site Wikipédia : les villes de Tokyo, Osaka et Nagasaki. En français, ces mots comptent respectivement 2, 3 et 4 syllabes. Pour les Japonais, il y a 4 mores dans chacun de ces mots.
Tōkyō (to-o-kyo-o), Ōsaka (o-o-sa-ka) et Nagasaki (na-ga-sa-ki)
Et voilà, c’est là que le bât blesse. En fait, on devrait préciser que le haïku est « traditionnellement composé de 17 mores, groupées selon le schéma 5-7-5. »
Pour écrire les mores, on utilise les kanas, caractères japonais. Si je veux mettre par écrit « la lumière rougeoyante du ciel » dans ma première ligne de haïku, j’écrirai en japonais あかかささ (Akane sasu). J’ai cinq kanas qui codent cinq mores, je respecte les règles. Ensuite, tout est question de traduction. Comment vais-je traduire ? Lumière rougeoyante ? Crépuscule de sang ? Les deux font six syllabes et le sens est très différent. Alors « horizon en feu » ? J’ai alors cinq syllabes, mais…
Certains traduisent les haikus en s’approchant au plus près du sens et d’autres proposent des versions syllabiques en essayant de reconstruire un schéma 5-7-5, avec plus ou moins de réussite.
Le haïku, c’est le souffle de la vie… Il se prononce en une seule expiration, mais il emporte tout un univers, alors il faut prendre une bonne quantité d’air avant de faire l’Eole. C’est une brise sans ponctuation. Oui, je sais, l’exemple introductif montre un point d’exclamation… vous voyez que ce petit poème n’est pas simple du tout.
Sur le site du printemps des poètes, le haïku que je vous ai choisi apparaît sous le titre « Papillon qui bats des ailes ». Pourtant, traditionnellement, le haïku n’a pas de titre.
Allons plus loin : Issa est traditionnellement (qu’il est lourd, cet adverbe… qui plus est, le haïku n’aime pas les adverbes) considéré comme un des quatre grands maîtres japonais (en compagnie de Bashô, Buson et Shiki). Il emploie le pronom personnel « je » alors que, traditionnellement (eh!), l’auteur ne se met pas en scène dans le haïku. Je dirais que le haikiste est plutôt un « contemplatif en retrait. »
Enfin, le haïku fait – traditionnellement – référence à une saison. C’est ce que les japonais appellent le kigo, que l’on pourrait traduire par « mot de saison ».
En ce qui concerne des pistes de travail en classe, voici ce que je vous propose :

Dire, lire, écouter et écrire des haïkus en classe

 Ecouter des haikus. Tous cycles
 Lire des haikus, pour soi, pour les autres. Recueillir les réactions des élèves. Cycles 2
et 3
 Montrer un haiku : en dégager les caractéristiques.
 Trois lignes (tous cycles)
 17 syllabes selon le schéma 5-7-5. Ce critère est inutile en maternelle, facultatif en élémentaire au regard de la relative complexité dudit critère.
 Ecrit au présent.
 Un mot de la nature, qui évoque une saison, une émotion. (Un mot de la nature pour les élèves de maternelle)
 [Trois lignes : deux lignes imagées que la troisième ligne permet de comparer, de
mettre en relation (ce critère n’est pas à prendre en compte au niveau scolaire, à
mon avis, mais je le donne pour les futurs experts.)]
 Limitation du nombre de pronoms. (Cycle 3 et au-delà)
 Pas d’adverbe, dans la mesure du possible. (Cycle 3 et au-delà)
 Une relation à l’un des cinq sens.
 Une disparition, une apparition, un élément soudain, incongru, curieux, qui remet l’ambiance en question, ou qui la renforce. (Cycle 3 et au-delà)
 Pas de titre, pas de ponctuation. (Optionnel)
 Pas d’intervention directe de l’auteur. (Cycle 3 et au-delà)
 Associer des haikus à des photographies, à des images. (Tous cycles)
 Ecrire des haikus. (Cycles deux et trois)
 Avec des lignes existantes (Cut up) ou à quatre mains (ne garder qu’une partie du haïku et compléter.)
 En écrivant des lignes sans contrainte métrique.
 En écrivant des lignes avec contraintes métriques.

A partir d’une photographie qui facilite l’écriture d’un mot de saison (avec pour référence le
haïku précédent) :
– Dire un élément que l’on voit, si possible le kigo (exemple une fleur – l’ancolie est
une fleur du début de l’été.)
– Qualifier l’élément avec un rapport au sens : recenser les mots qui peuvent évoquer
la vue, l’odorat, l’ouïe, le toucher. (exemple – la caresse, ici du vent.)
– Etablir une équivalence : on dirait, cela me fait penser à… (exemple – la fleur à la tête courbée après une journée de chaleur.)
– Trouver un lieu auquel fait penser la photographie.
– Associer une émotion à la photographie.

Un exemple :
Je vois : un coquelicot
Un rapport au sens : fragile au toucher
Equivalences : les ailes de papillon, la robe
Lieu : un champ en jachère
Emotion : admiration pour la résistance vaine des pétales. L’éphémère, quoi…

« Rouge papillon
Tu te dérobes au pré
Que le vent dénude »
Amiloch – 2004

Pour aller plus loin :
Aide à l’écriture : voici une adresse où l’on peut choisir un saijiki, c’est-à-dire un répertoire
pour choisir un kigo. Rien n’empêche de se construire son propre sajiki.
http://www.osk.3web.ne.jp/logos/saijiki/
Répertoire de règles avec plusieurs techniques de composition et une biographie des
principaux auteurs japonais.
https://www.tempslibres.org/tl/mirror/fr/textes/doc1_haikupendium-v1.5.pdf
En outre, sur le site tw’haiku, proposé par l’académie de Dijon, vous trouverez différents
documents qui ont été utilisés dans les classes dont vous trouverez les contributions sur la page dédiée.
http://tw-haiku.ac-dijon.fr/decouvrir-les-haikus-avec-ses-eleves/
On peut travailler les associations textes-images, mais pour que l’exercice soit riche, il faut que les haïkus aient été rédigés par les élèves.
Préconisations :
Chaque élève (ou groupe d’élèves) écrit un haïku à partir d’une photographie
Ensuite, on montre les haïkus produits d’un côté, les images de l’autre, et on peut tenter des associations. Même en maternelle. D’un point de vue poétique, c’est assez discutable, mais l’argumentation qui mène à l’association texte-image est une formidable occasion de travailler sur le langage oral.

Frédéric Chaumillon / Conseiller pédagogique – Circonscription de Lencloître Nord Vienne